Quand la grippe aviaire devient laitière

Pendant que les jeux olympiques battaient leur plein à Paris en juillet dernier, c’est aux Etats-Unis que se déroulait un événement qui a attiré particulièrement l’attention des autorités : des vaches laitières infectées par le virus de la grippe aviaire. Initialement adapté à la population aviaire telle que les oiseaux sauvages et les volailles domestiques, il semblerait que ce virus ait lui aussi joué la carte de la diversité en allant infecter une nouvelle gamme d’hôtes. Ce goût à l’aventure lui ayant plutôt réussi, les autorités restent en alerte et surveillent de très près l’évolution de la situation. Quel est ce virus, et pourquoi ces événements récents sont-ils inquiétants ?

Contexte

La grippe aviaire est une maladie infectieuse qui, comme l’indique son nom, affecte la population aviaire, c’est-à-dire les oiseaux sauvages ou domestiques. Elle est causée par un virus appelé influenza aviaire (souche A), et peut-être très grave chez les oiseaux sauvages ou les volailles domestiques (on parle alors d’influenza aviaire hautement pathogénique IAHP) avec un taux de mortalité de près de 90%, ou bénigne (on utilise alors le terme d’influenza aviaire faiblement pathogénique IAFP). Les deux catégories de virus circulent au sein des animaux sauvages.

Même si cette maladie affecte initialement la population aviaire et principalement les oiseaux aquatiques tels que les canards, il arrive que d’autres populations soient touchées, comme les mammifères marins (phoques, otaries) ou terrestres (visons, chats, chiens). On parle alors de franchissement de barrière d’espèces.

Alors que les deux catégories de virus circulent au sein des populations aviaires et mammifères, il arrive parfois que l’IAFP mute vers une forme hautement pathogénique, ce qui est souvent le cas au sein des élevages de volailles. Une fois présent dans l’environnement de l’élevage, il peut être difficile de contrôler sa propagation au sein des autres élevages.

Figure 1 : Transmission du virus influenza aviaire A/(H5N1) chez différentes gammes d’hôtes.

Aussi, depuis 2003, près de 500 cas humains ont été recensés dans le monde pour avoir contracté le virus influenza aviaire hautement pathogénique A/(H5N1). La majorité des cas ont été infectés suite à un contact avec des oiseaux sauvages ou domestiques porteurs du virus.

Fin mars 2024, le Département de l’Agriculture des Etats-Unis (USDA) reporte la première détection d’IAHP A/(H5N1) dans un troupeau bovin laitier au Texas. C’est d’ailleurs la première fois que l’on détecte cette souche virale chez la vache. Quelques jours plus tard, un jeune employé d’une ferme laitière au Texas est testé positif au virus après avoir présenté des signes de conjonctivite. Il a déclaré avoir été en contact avec des vaches laitières infectées par le virus. C’est le premier cas humain a avoir été infecté par le virus A/(H5N1) via un mammifère.

Figure 2 : Transmission du virus influenza aviaire A/(H5N1) chez la vache laitière.

Dans les semaines qui ont suivi, trois autres employés de fermes laitières aux Etats-Unis ont été testés positifs A/(H5N1), dont deux au Michigan et un au Colorado. En date du 13 août 2024, le virus IAHP a été détecté dans des troupeaux bovins laitiers de 13 états des Etats-Unis.

Figure 3 : Etats positifs au virus A/(H5N1) dans les troupeaux bovins laitiers au USA et cas humains.

Le pis de la vache : un Eldorado pour le virus ?

Le déterminant essentiel pour une sensibilité à l’infection du virus est la présence des récepteurs spécifiques à ce virus sur les cellules de l’hôte. C’est un peu le principe de la clé et la serrure : sans la serrure modelée spécifiquement à la clé, la clé ne pourra s’insérer à l’intérieur. La serrure en question pour l’IAHP est l’acide sialique α2,3-gal (SA). Et cette serrure est présente en grande quantité au niveau des glandes mammaires de la vache.

Figure 4 : Infection des glandes mammaires par le virus A/(H5N1) via le récepteur acide sialique α2,3-gal.

On suppose que les vaches ont pu être contaminées via les oiseaux sauvages (eau contaminée par les fèces d’oiseaux, carcasses d’oiseau mort), mais on ne sait pas encore comment la transmission entre elles s’effectue. L’hypothèse principale se tourne vers le matériel de traite, mais aussi le personnel qui effectue la traite et qui servirait de vecteur. Contrairement à la volaille domestique, la maladie est plutôt bégnine chez la vache laitière. Certaines ne présentent aucun symptômes, d’autres ont une diminution de leur production de lait.

La question que l’on se pose tous est : y a-t-il du virus dans le lait cru d’une vache infectée ? La réponse est oui. Le virus est retrouvé dans son état infectieux (vivant) dans le lait cru et le colostrum. Des chats de ferme ont d’ailleurs été infectés après avoir consommé du lait cru provenant de fermes laitières positives A/(H5N1). Les scientifiques ne savent pas encore si une personne qui boit du lait cru contaminé peut être infectée son tour. Lorsque le lait est pasteurisé (chauffé à 72°C pendant 15 secondes) pour être commercialisé, le virus est inactivé et n’est donc plus infectieux. Il n’y a donc pas de risque de contracter la grippe aviaire en buvant du lait pasteurisé. Quant à la viande, une cuisson adéquate (température interne de 60°C minimum) est suffisante pour inactiver le virus, si virus il y a.

Devinette : quel est le point commun entre une vache, un porc et un humain ?

Pour trouver la réponse, nous allons devoir aborder un peu de théorie sur le virus de la grippe.

Les virus influenza aviaires ont une préférence pour le récepteur cellulaire acide sialique α2,3-gal (SA α2,3-gal) de son hôte. Les influenza A humains et porcins ont quant à eux une préférence pour le récepteur acide sialique α2,6-gal (il n’y a pas de grande différence entre les deux récepteurs, si ce n’est que la molécule de galactose est reliée au carbone 2 de l’acide sialique via son carbone 6 plutôt que 3).

On retrouve les récepteurs SA α2,6-gal dans les voies respiratoires supérieures des humains, et un peu de SA α2,3-gal plus profond dans les poumons. Chez la race bovine laitière (race prim’holstein plus précisément), les deux récepteurs sont retrouvés dans les voies respiratoires (région profonde de la trachée pour SA α2,6-gal et bronches + poumons pour SA α2,3-gal) mais aussi dans les glandes mammaires. La vache peut donc être infectée par les influenza A aviaires mais aussi par les influenza A porcins et humains !
Chez le porc, on retrouve également les deux types de récepteur, à différents endroits du tractus respiratoire.

Figure 5 : Répartition des récepteurs aviaires et humains/porcins chez la vache, le porc et l’homme.

De plus (et là est le point critique de l’histoire), l’une des particularités des virus influenza A est leur capacité à muter pour s’adapter à un nouvel hôte et favoriser ainsi leur propagation (principe évolutif). Ainsi, un influenza aviaire fétichiste des SA α2,3-gal qui se retrouverait par hasard chez un hôte possédant les récepteurs SA α2,6-gal est capable de muter pour changer son fusil d’épaule et se lier spécifiquement à ce récepteur. Autre particularité : les virus influenza sont capables de réassortiment, c’est-à-dire qu’ils peuvent, lorsqu’ils coexistent dans un endroit, s’assembler et générer un nouveau sous-type de virus.

D’ailleurs, le porc, porteur des deux récepteurs adaptés aux influenza aviaires et humains, est considéré comme un « bac de mélange » (mixing vessel en anglais) car il peut accueillir à la fois les influenza aviaires et humains circulants et est souvent à l’origine de réassortiments. Par exemple, le virus influenza A/(H1N1) responsable de la pandémie de grippe de 2009 dérive de deux influenza porcins, dont l’un a pour origine la souche responsable de la grippe espagnole (pandémie de 1918).

Figure 6 : Evénement de réassortiment et transmission d’un réassortant à l’homme.

J’ai regardé par curiosité s’il y avait des élevages porcins au sein des états positifs A/(H5N1) chez la vache laitière. Sur les 13 états touchés aux USA, 6 ont des fermes porcines. Quatre états à proximité des états positifs ont également des élevages porcins.

Figure 7 : Elevages bovins laitiers et porcins aux USA.

En date d’août 2024, aucun élevage porcin n’a été rapporté comme infecté par la souche aviaire, et rien n’indique que cela arrivera. Mais si l’on regarde la tendance de circulation du virus influenza A/(H5N1) depuis sa détection en janvier 2022 aux Etats-Unis dans la population aviaire sauvage, on comprend que tout peut arriver.

Les enjeux de surveillance sont donc de mise, afin de limiter la propagation au sein des élevages bovins et porcins. L’infection chez la vache étant plutôt bégnine, certains cas sont certainement passés sous le radar des fermiers et plus de fermes qu’on ne le pense pourraient être touchées. Il y a donc une nécessité à tester les fermes pour prévenir toute propagation.

Même si les Etats-Unis sont les seuls a avoir détecté le virus dans les fermes laitières bovines, le virus circule depuis plusieurs années dans la population aviaire sauvage du monde entier. Il s’est propagé en Europe, en Amérique du Nord (USA, Mexique, Canada), en Amérique centrale, en Amérique du Sud et en Antarctique. Ainsi, un événement d’adaptation du virus à un nouvel hôte ou un réassortiment précédent une transmission inquiétante à l’homme pourrait avoir lieu n’importe où, à n’importe quel moment ou peut-être même ne jamais avoir lieu.

Certains experts disent que les pandémies de grippe surviennent tous les 40 ans environ. La dernière en date était celle de 2009.

Sources

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